Moment de liberté en ce dimanche maussade, je reprends donc mes explications (si vous avez oublié le problème initial, vous aurez un zéro pointé !

) :
A ce stade du développement d’un Acer (phase de jeunesse), très peu d’opérations sont nécessaires au risque de modifier qualitativement sa morphologie, mais aussi son fonctionnement en provoquant un vieillissement accéléré.
Il faut rappeler que dans sa phase de jeunesse, le système de ramification d’un Acer, à axe principal prédominant et à axes latéraux subordonnés, est un système de croissance monopodiale acrotone : la ramification se fait dans l’ensemble " vers le haut " et " vers l’extérieur ", ce qui permet une utilisation optimale de la lumière par les feuilles de la couronne. Ce type de croissance donne une architecture globale pyramidale (pour d’information, le stade adulte donnera une architecture plutôt arrondie, le stade de la maturité donnera un houppier irrégulier et éclaté en une multitude de petites cimes, et enfin le stade " sénescent " donnera un houpier disloqué).
Qu’est-ce qui permet d’expliquer qu’un Acer s’éloigne, provisoirement ou définitivement, de son type architectural ?
Sur un jeune Acer, les branches sont corrélées dans leur développement, elles s'équilibrent mutuellement. La taille d’une branche ou d'un rameau, même légère, provoque une réaction dans l'arbre entier. C’est ce qui explique, par exemple, qu’un Acer " couronné " (taillé au sommet pour présenter des branches de longueur égale) développe dans la partie inférieure de son houppier des ramifications que l'on ne retrouve pas chez un arbre non taillé. La suppression du contrôle apicale par ablation de l’apex caulinaire va avoir deux effets par rapport à l’unité architecturale de son type : produire deux rameaux subégaux définitivement orthotropes qui vont constituer deux flèches, et lever l’inhibition de certains bourgeons latents (axillaire) qui vont alors développer sur le tronc ou à la base des charpentières des rameaux orthotropes vigoureux (des rejets). J’ai mis en photos plusieurs exemples.

coupe de la flèche sur 'kawara no midori' (pépinière Maillot)

naissance des rejets qui se développeront vigoureusement au printemps prochain

coupe de l'axe dominant sur shirasawanum 'jordan'

rejets sur le tronc
Dans ce cas de figure, il ne faut pas s’étonner de constater un développement anarchique de rameaux basitones qui donne une structure touffue et un port en boulle. Il faut bien comprendre qu’un tel développement n’a souvent rien à voir avec celui de l’espèce ou du type : il est la conséquence d’une taille inappropriée, intervenue trop drastiquement et/ou trop tôt (hors cas spéciaux des " balais de sorcières "). Ceci est vrai pour 'katsura', par exemple… Nous sommes tellement habitués à le voir sous un aspect perturbé que nous finissons par oublier a quoi ils devraient ressembler…

'katsura' non perturbé, port orthotrope vigoureux !
De même, une croissance trop rapide des axes principaux s’explique, non par un processus endogène, mais par des conditions culturales contraignantes et inadaptées : c’est la qualité de la lumière (ombre trop importante ou culture en serre très filtrante avec un rapport de transmission R./R.L. - rouge clair/rouge sombre - élevé) qui provoque un fort allongement des entre-nœuds et une croissance disproportionnée. Il n’est pas rare de constater un phénomène d’étiolement de la tige privée du Par (Photosynthetically Active Radiation = RAP = Rayonnement actif sur la photosynthèse) ce qui bloque sa ramification et allonge l’intervalle entre deux feuilles successives (entre-nœud long pour retrouver au plus vite la lumière). Logiquement, la taille va alors déséquilibrer une seconde fois le développement normal de l’Acer (explication au-dessus), nécessitant au final de nombreuses tailles successives pour tenter de rééquilibrer l’ensemble.
La suppression du sommet d’un axe dominant devrait toujours rester une opération exceptionnelle, justifiée seulement dans quelques cas très particuliers, car elle va causer à l’Acer un stress très puissant qui va l’affaiblir pour longtemps, voire parfois définitivement, et perturber gravement toute son architecture. Elle est malheureusement très souvent pratiquée en pépinière dans le but de provoquer une ramification dont on estime que l’arbre seul ne serait pas capable…

suppression de la flèche sur 'akebono' (pépinière Maillot) : plusieurs rejets autour du point de coupe
Je me suis rendu compte que la pépinière Maillot effectue presque systématiquement cette suppression de la flèche de chaque axe dominant, provoquant au niveau du point de coupe la formation de rejets vigoureux... Pratique beaucoup plus rare chez Esveld, Choteau ou même Fontin... Je me demande quelles conséquences sur l'architecture de l'Acer une telle pratique va avoir, car à l'évidence elle modifie sa morphologie !
Tailler après une transplantation (réduction du système racinaire), un gros rempotage avec démêlage important des racines chignonées, le renouvellement partiel ou total du substrat, ou encore après une première taille trop rapprochée, est un geste traumatisant et inutile : il faut parfois attendre plusieurs années avant de retrouver une croissance annuelle vigoureuse ! C’est cette croissance qui doit guider notre décision et non un choix esthétique ou tout autre raison non physiologique…
Si celle-ci a lieu, il est envisageable d’accompagner l’arbre par un élagage raisonné favorisant un développement conforme à son potentiel génétique et à l'action du milieu environnant non contraignant. La taille ne devrait jamais modifier le port naturel de l’espèce, mais accompagner la forme du houpier pyramidal du jeune Acer !
Certaines variétés d’Acer présentent naturellement une basitonie compensée : ils ont un développement arbustif et tandis que leur tronc se ramifie précocement et vigoureusement (basitonie), les branches plus âgées ont une ramification acrotone. Dans ce cas, il peut être utile en effet de rabattre les branches concurrentes de la branche principale mais aussi vigoureuse qu’elle et qui déséquilibre le port naturel de l’arbre. Des coupes infimes permettent à l’arbre de choisir en deux ou trois ans ses axes dominants conformes à son développement ontogénique.
Autre cas favorable, lorsque l’on veut renforcer un ou plusieurs axes en l’absence d’un axe dominant (plusieurs années auparavant, le jeune Acer a été " couronné ", volontairement ou accidentellement) : en l’absence d’une dominance apicale forte sur les Acer, l’arbre se retrouve avec plusieurs flèches de longueurs inégales et un houpier désorganisé à l’avenir incertain et inesthétique. Accompagner l’arbre peut nécessiter dans ce cas de supprimer l’une des branches concurrentes (celle dont le diamètre est le plus faible), afin de privilégier la branche la plus vigoureuse, celle dont la croissance est la plus rapide et qui possède une capacité de photosynthèse meilleure que ses rivales. Souvent, cette branche sélectionnée est aussi celle qui présente plus haut sur le houpier un groupe de flèches dont il faudra, dans quelques années, " rabattre sur bois court " les concurrentes les plus faibles pour aérer et éclaircir l’ensemble. Quasiment tous les cultivars d’Acer entre 4 et 6 ans présentent un tronc et des axes un (les charpentières) concurrencés de cette manière à des degré divers… voir les photos. Restaurer la dominance prendra alors des années en commençant par le niveau le plus bas, sans garantie de rétablissement…

groupe de flèches sur 'taro yama'
Une autre opération a souvent lieu en pépinière sur des Acer en phase de jeunesse : supprimer les branches basses autour du tronc ou des charpentières pour rehausser le houppier. C’est ce que font, par exemple, les pépinières de la Bambouseraie et que l’on constate sur les Acer achetés en container de 50L (fin de la phase de jeunesse). C’est peut-être ce qui explique la grosse épaisseur du tronc sur ces spécimens, car la technique appropriée consiste à tailler en deux fois : le jardinier sectionne au ras les axes secondaires qui concurrencent l’axe principal, mais coupe à quelques centimètres les autres branches afin de provoquer la formation de rejets destinés à faire grossir le tronc par l’apport de nutriments localement. Une ou deux années plus tard les chicots ramifiés sont éliminés.

traces de suppression des branches basses sur 'momoiro Koya san'
L’opération la plus traumatisante pour un Acer consiste à tailler les branches de niveau deux dans le but de sélectionner ou de renforcer un axe principal sur la branche en privilégiant les rameaux hypotones (ceux dont la croissance va vers l’extérieur et le bas). La finalité n’est pas seulement esthétique : il s’agit de rajeunir physiologiquement l’arbre en prolongeant sa formation... L’axe dominant est en effet souvent concurrencé par des rameaux hypotones et la solution la plus efficace est de défourcher en supprimant l’axe principal pour faire basculer la dominance sur le rameau hypotone concurrent qui devient alors le nouveau rameau terminal. Le bénéfice serait multiple : la croissance des rameaux de la nouvelle branche dominante augmente de façon significative pendant plusieurs années, la branche reprend son port orthotrope sur toute sa longueur (alors qu’en absence de taille elle tend à prendre un port plus plagiotrope, conforme à son développement physiologique normal…), et enfin le fonctionnement hypotone est prolongé de plusieurs années, ralentissant le passage au stade adulte suivant caractérisé par l’épitonie (des rameaux se développent vigoureusement sur la face supérieure de la branche, d’abord à la base, puis au sommet).

taille sur rameau hypotone : suppression de l'axe sur 'ueno yama'. Rejets au point de coupe.
Toutes ces réactions seraient le signe d’un rajeunissement salutaire en plus d’offrir l’esthétique désirée. C’est malheureusement une illusion ! Il faut rappeler la différence entre l’âge chronologique, ontogénique et physiologique : si la taille intervient vers la 4e année de l’âge chronologique, elle provoque une accélération du vieillissement ontogénique (l’âge de la branche depuis sa naissance ne change pas, mais sa croissance se trouve accélérée par la taille), même si l’âge physiologique est ralenti par le maintien de certains caractères de la phase de jeunesse. Le rajeunissement physiologique ne peut rattraper et compenser le vieillissement ontogénique accéléré par les tailles répétées qui n’annulent pas l’âge absolu depuis la naissance de la branche. Cette illusion fonctionnera pendant la phase de jeunesse uniquement car, en vertu des corrélations entre les différents axes (rôle des phytohormones), la taille de l’axe dominant provoque un regain de vigueur sur la branche hypotone dominée qui reprend alors le même cycle, mais retardé, que l’axe dominant supprimé…
La notion de jeunesse ne concerne pas seulement, ni même d’abord, le fonctionnement corrélé des organes de l’arbre et son stade de développement, mais surtout la vitesse à laquelle fonctionne ces organes dont on va vite épuiser les ressources. Au-delà de la compréhension du fonctionnement physiologique de l’Acer et des stades de son développement, il convient aussi de prendre en considération la question de la gestion de l’énergie dont il a besoin pour croitre et se développer, donc la question connexe du stockage de ces ressources, de leur localisation et donc, au final, la question de l’appauvrissement généralisé des réserves que provoque toute taille, même légère, et du vieillissement que cela implique forcément… Le rôle du système racinaire va alors s’inviter dans la réflexion et apporter son lot de complications pour tous les stades de développement de l’Acer…
C'est ce qu'il va falloir examiner dans la suite, après avoir passé en revue les autres stades de développement...