Misologue1 a écrit : jeu. 02 sept. 2021 5:08
CHANIWA a écrit : mar. 31 août 2021 22:08
Tu peux éclairer ma lanterne, Miso ? Sincèrement je le range plus dans les "dissectum" que dans les "Shira", tout Kawaï qu'il est.
Ok, je te prépare une réponse complète, mais d'ici 2/3 jours car c'est la rentrée universitaire et je suis débordé (comme d'habitude...).
Ok CHANIWA, alors (avec un peu de retard et je m’en excuse !) je te livre les informations que j'ai actuellement en ma possession :
Il s'agit d'abord d'une sélection de " semi fortuit ", selon l'expression, découverte par un certain Jim Baggett de Corvallis dans l’Oregon, puis nommé et introduit par Talon Buchholz. Celui-ci signale que le premier spécimen provient d’une graine de Shirasawanum ‘palmatifolium’, l’autre parent probable étant un palmatum. Cette sélection apparaît donc sous le nom de cultivar ‘kawaï’ dans l'immense bibliothèque des plantes sur le site de l'auteur, le " Buchholznursery.com " (c’est la femme de Talon Buchholz, Haruko, qui l’a nommé ainsi lorsqu’elle l’a vu pour la première fois, ‘kawaï’ signifiant " mignon " ou " adorable "). Elle y ai nommée Shirasawanum ‘kawaï’ et brièvement décrite et l’on peut supposer que ses caractères morphologique et anatomique, en particulier ceux observés à maturité, ont suffi à justifier sa classification parmi les Shirasawanum sous-espèce dissectum. Cette classification indique qu’il s’agit probablement d'un hybride entre un shirasawanum et un palmatum... Avec les réserves d'usage sur les possibilités de croisement entre les espèces. Accessoirement, il n’est pas interdit de faire confiance à celui qui a introduit ce cultivar, malgré les limites de cette méthode, comme nous allons le voir...
Car, sur le plan botanique, il y a des raisons plus sérieuses à cette classification :
Commençons par un petit rappel (très simple !) concernant les règles de la nomenclature botanique et horticole.
Depuis Carl von Linné (célèbre botaniste suédois), cette nomenclature est appelée binominale ou binomiale. Ce système a été conçu par Linné vers 1753, mais c'est seulement à partir de 1930 qu'est mis en place officiellement le " Code international de nomenclature botanique (CINB) ". Depuis 2011, son nom a été modifié en " Code international de nomenclature des algues, champignons et plantes (CIN) ".
La nomenclature binomiale définit un ensemble de règles universelles permettant de classer les plantes en catégories hiérarchisées (comme des boites de rangement). Les diverses unités de la classification sont appelées « taxons ». Il existe ainsi des taxons de niveau différent dans la subdivision : sans remonter trop loin, citons l’ordre, la famille, le genre, l’espèce, la sous-espèce et enfin la variété.
Selon cette classification, les érables sont des arbres et arbustes du genre Acer (niveau 3) appartenant à la famille des Acéracées (niveau 2), dans l'ordre des Sapindales (niveau 1). Du moins selon la classification de Cronquist, nième version de la classification dite moderne qui tente d’associer la classification naturelle, héritée de Linné, fondée sur les similitudes morphologique et anatomique entre deux individus, et la cladistique (ou classification phylogénétique) qui pose que ces similitudes ne suffisent pas pour établir des liens de parenté.
Chaque individu considéré possède alors un nom de famille, de genre, d’espèce, de sous-espèce et enfin de variété. C’est ce que l’on appelle le nom scientifique (par opposition au nom vernaculaire). Ajoutons que pour faciliter la reconnaissance du niveau de subdivision, ces noms possèdent une terminaison (une désinence) spécifique : le nom d’ordre se termine en
ales, le nom de famille en acée (
aceae en latin). Le nom des taxons de rang inférieur (espèce, sous-espèce et variété) n’ont en revanche pas de terminaison particulière.
Pour le botaniste, c’est l’espèce qui reste l’unité de base. Dans cette nomenclature binomiale, chaque espèce reçoit un nom en latin constitué de deux mots écrit en italique : le premier désigne le genre et il s’écrit avec une majuscule, le second est un terme distinctif qui détermine, au sein du genre, l’espèce particulière dont il s’agit (il s’écrit avec une minuscule sauf s'il dérive d'un nom propre). L’abrégé de l’espèce devant le nom de la variété ou cultivar prend quant à lui toujours une majuscule. Ainsi Acer palmatum et Acer Shirasawanum (choisi en l’honneur de Homi Shirasawa) sont deux espèces distinctes que l’on confond vulgairement sous le nom commun d’érable du Japon et qui appartiennent au genre Acer.
Venons-en à l’essentiel :
Pour distinguer les espèces, c’est le critère de la ressemblance ou de l’analogie qui a été d’abord retenu dans cette classification. La classification traditionnelle est dite phénique car elle repose sur les apparences (pheno signifie " apparaître "). Ignorant encore le concept d’évolution, fonctionnant selon l’idée de fixisme, la classification binomiale est essentiellement empiriste : elle se base sur les caractères morphologiques visibles, observables, et si elle se veut naturelle elle n’en reste pas moins souvent arbitraire.
Talon Buchholz, qui est féru de nomenclature et s’intéresse à l’origine des noms, s’est donc fondé sur les ressemblances profondes entre des individus différents pour choisir le nom de son cultivar : comme tous les Shirasawanum, ‘kawaï’ possède des feuilles à 9 lobes ou plus (jamais à 7 lobes comme certains matsumurae). Comme beaucoup de Shirasawanum, sa croissance est très lente, moins d’1m en 10 ans. Comme tous les Shirasawanum, son bois se lignifie très tôt avec une belle couleur gris pâle ponctuée de petites tâches blanchâtres.
Pourtant Talon Buchholz sait bien que les apparences sont parfois trompeuses en matière de classification : il faut toujours tenir compte des erreurs liées au phénomène de convergence ou homoplasie (homo-plasie : " construit pareil ") : l’évolution, au sein d’un même environnement, de deux espèces totalement indépendantes, peut déboucher sur une adaptation morphologique et anatomique similaire sans qu’elle soit héritée d’un ancêtre commun.
D’autre part, et à l’inverse, il peut exister entre deux individus de la même espèce, un dimorphisme ou polymorphisme : c’est ce qui permet justement de différencier les sous-espèces et les variétés. A ce sujet, notons que la nomenclature est très stricte. La sous-espèce est une variante d’une espèce qui se produit spontanément dans la nature : elle est représentée par l’indication 'ssp.' ou 'ubsp.' (minuscule romain suivi du nom de la sous-espèce en italique).
Dans le cas d’un hybride, il convient cette fois de tenir compte des possibilités de croisement entre deux espèces du même genre possédant une génétique différente. Au niveau de la nomenclature, le nom de la descendance doit être précédé d’un x : ainsi Acer Shirasawanum x ‘kawaï’ est un hybride de S. ‘palmatifolium’ et P. inconnu.
C’est en matière de filiation génétique que la classification du cultivar ‘kawaï’ devient vraiment rigoureuse : la classification phénétique (elle regroupe des individus ayant en commun des caractères plus ou moins nombreux) doit s'associer à la nouvelle classification cladistique (ou phylogénétique), fondée sur le modèle évolutif et la notion d'ascendance commune (elle regroupe les individus selon les caractères hérités d’un ancêtre commun qui a transmis tout ou parties de ses gènes). Dans cette classification, seul le degré de parenté des taxons guide l’analyse : deux individus (un 'palmatifolium' et son rejeton 'kawaï') qui partagent le même ancêtre commun direct (un individu appartenant au taxon Shirasawanum) sont appelés " groupes frères " et le groupe formé avec leur ancêtre est dit monophylétique. Les caractères transmis des ancêtres aux descendants sont appelés des plésiomorphies, d’autres sont des nouveautés généalogiques ou apomorphies (ainsi 'kawaii' est le premier Shirasawanum laceleaf ou dissectum). Ces apomorphies témoignent donc de la dernière formation (dans le cas de 'kawaï' il y a aussi sa couleur exceptionnelle qui se maintient très bien avec l'âge) d’un groupe monophylétique. C'est donc à partir d’elles que l’on peut découvrir les taxons frères (qui possèdent des apomorphies communes ou synapomorphies) et les groupes monophylétiques. Cette méthode de classification utilise trois taxons et l’hypothèse de travail est que deux d’entre eux forment ensemble un groupe monophylétique. Mais pour cela, il faut que ces deux taxons aient au moins une
similitude qui puisse être interprétée comme une synapomorphie. Dans le cas de 'kawaî', cette hypothèse est vérifiée, puisque ces graines poussent au-dessus du feuillage comme chez tous les Shirasawanum !
Voilà, tu sais tout... ou presque.